La théorie de l’évolution appliquée à la F1
Peu après les essais privés de Barcelone du 13 et 14 mai, le SAV de la F1 a décidé de réunir plusieurs F1 emblématiques de différentes époques sur le circuit de Barcelona-Catalunya. Sur ce fief d’aérodynamiciens, combien de secondes seront gagnées entre la plus ancienne et la plus récente des F1 ? Quelques heures suffiront-elles pour juger de quarante années de technologie face au règlement ?
Pour réaliser des comparaisons, il faut un circuit de référence. Quoi de mieux que celui de Barcelone-Catalunya. Pour des raisons budgétaires, le test aura lieu dans un monde virtuel adjacent : Project C.A.R.S., un jeu multiplateforme, dont la sortie est prévue en novembre 2014. Il contient cinq F1 typiques ainsi qu’une réplique fidèle du circuit référence de la F1 depuis plus de vingt ans. Mais avant de poursuivre il est important de comprendre le pourquoi de cette réputation. Le circuit n’est pas trop éloigné des bases européennes des équipes et il y fait généralement beau, même si durant l’hiver les températures sont plus fraîches qu’à Bahreïn. Deux raisons cosmétiques, j’en conviens. La vraie raison, plus pragmatique, et liée au virage aérodynamique pris par la F1.
Mathématiquement la F1 est une équation à plusieurs inconnues dont voici les plus importantes : le poids, la traînée, le grip mécanique, l’adhérence des pneus, la puissance, et surtout la déportance. La déportance est la force qui plaque au sol un véhicule. En Formule 1, elle résulte des ailerons et de l’effet de sol généré par le déplacement d’air, dans le diffuseur. Toutes ces forces interagissent entre elles évidemment : c’est ce qui rend ce sport particulièrement technologique. Or, ces dernières années, la part de l’effet de sol dans la déportance a grandi. L’appui produit par le diffuseur et le fond plat l’est quasiment sans la contrepartie de la traînée. Barcelone, où la vitesse de passage en courbe est primordiale, est donc une aubaine pour des tests. Et pour cette même raison, tous les Simracers y ont beaucoup roulé.
Simracers… Kesako ? Au SAV, je suis souvent moqué pour mon envie de faire partager ma passion pour la simulation de course ou Simracing. J’ai commencé à l’âge de 12 ans, voilà 30 ans. En tant que Simracer je suis loin d’être un rookie. Les jeux vidéos de courses ont bien évolué, du fait d’une puissance de calcul qui évolue sans limite (si ce n’est celle du coût). Songez à tout ce qui peut tourner sur un smartphone désormais. Pole Position, le premier jeu de l’histoire, a forcément beaucoup vieilli. Avec live-sim.com, j’ai appris la course automobile bien plus que je n’aurais pu voir dans la réalité. Aujourd’hui, je suis capable de régler une boite de vitesse, la pression des pneus, le carrossage, le pincement, la chasse, les barres anti-roulis, les suspensions, les stratégies, etc. Le niveau de détail est tel que les jeux produits depuis dix ans, utilisent des logiciels professionnels de lecture des acquisitions de données, comme Atlas (provenant de McLaren Technology) ou le Motec. Probablement des millions de kilomètres à allure de course, des centaines de milliers de départ (faudrait que j’en parle à Nico), pour un coût modique par rapport à ne serait ce qu’une année de Kart. Mais de là à devenir un Realracer, il y a un pas qu’il serait improbable de franchir…
Après une longue ligne droite, où il est capital de ne pas être lent, le freinage avant le S conditionne les trois uniques virages du premier secteur. Pour être efficace il ne faut pas freiner dans l’axe, mais mettre un peu d’angle sur le volant pour viser le vibreur du point de corde du virage 1. Ainsi la voiture est parfaitement placée pour traverser le virage 2 jusqu’au 3, avec le maximum de vitesse. Il faut alors lâcher l’accélérateur pour permettre à la voiture de changer de cap. Le virage étant très long, il faut être attentif à la stabilité de la voiture pendant la reprise progressive des gaz. Idéalement, en fin de virage, le moteur est en pleine charge. Une petite ligne droite termine le premier secteur avant le freinage du 4 qui se situe un peu avant le pont piéton.
Le deuxième secteur commence par un virage, simple d’apparence, qui nécessite une corde tardive. Suit un gauche très serré, où il faut chercher quand accélérer pour éviter d’être trop déporté par la force centrifuge. La descente qui suit permet de reprendre beaucoup de vitesse avant un S rapide. Comme pour celui qui suit la ligne droite, il faut bien se placer dans la première partie, pour être à fond sur la deuxième. Arrive le 9, qui est, à mon sens, le virage le plus complexe de Barcelone. En montée, aveugle, pas beaucoup de point de repères. Il est nécessaire de lever le pied pour y entrer, et suffisamment pour ne pas sortir de la piste. Un virage en équilibre instable qui détermine une ligne droite où quelqu’un plus rapide en sortie dépassera.
Le troisième secteur est le secteur lent, à commencer par le virage 10 qui est presque une épingle. Le freinage est compliqué car l’œil est attiré par la zone peinte en rouge. Le virage le plus lent ne se voit pas distinctement. Pour le 11, il faut mordre le vibreur avec les roues gauches. Sitôt franchi, on lève le pied droit, pour un droite où seul compte le grip mécanique. Dès la sortie du 12, le 13 est en vue. Un droite simple sans vitesse et sans difficulté si ce n’est en sortie. Pas trop de gaz, pour ne pas être trop à gauche afin de se remettre le plus à droite possible avant la chicane où il est nécessaire de sacrifier l’entrée pour pouvoir mordre le vibreur de droite en sortie. Car la vitesse de sortie du dernier virage conditionne la longue ligne droite pour un nouveau tour. La description est plus longue à écrire qu’à piloter.
Commençons par la plus ancienne des F1, celle qui aura le plus de mal, la Lotus 49. Elle a couru en F1 de 1967 à 1970. Il s’agit de la 1ère Formule 1 à moteur porteur à remporter un Grand Prix. Adossé au châssis, un V8 Ford Cosworth DFV de 440 cv environ. Pas d’appui aérodynamique, et des pneus rainurés. Conduire une voiture ancienne, fut-elle légendaire, revient pour le pilote à perdre ses automatismes, car la voiture s’allège avec la vitesse. Pourtant elle est franche, et les limites sont claires. Piloter à la limite, est comme marcher sur un fil. Il faut être funambule pour sentir à chaque instant quand il faut relâcher les gaz, pour garder le contrôle. Le virage 3 étant long, est particulièrement compliqué, à tout moment on sent l’arrière en glisse. Tenir un instant de trop, provoque une embardée, dans la meilleur des cas, mais plus probablement un changement brutal de cap, vers un mur. Autre point délicat, les freinages. Sans appui, l’arrière grand-mère, ne veut pas entrer dans les courbes. Pour le contrecarrer, rien ne vaut le trail braking, littéralement le freinage en traînant. Cette astuce consiste à freiner le plus fort possible quand les roues sont droites, puis garder un filet de frein du changement de cap, jusqu’au point de corde. La voiture gardant du poids sur l’avant et moins sur l’arrière, elle en est moins sous-vireuse. Tout ce que j’ai pu en tirer de cette Lotus, est un 1.56.320 avec 272 km/h en bout de ligne droite.
La philosophie de la Lotus 72, aux pneus lisses, est de limiter au maximum la traînée aérodynamique. Elle adopte le principe des pontons latéraux afin de loger les radiateurs et intègre les disques de freins dans la coque. Fidèle au Cosworth DFV poussé à 440 CV, avec un travail empirique sur l’aérodynamique, la Lotus 72 permet au constructeur britannique d’être triple champion du monde, entre 1970 et 1975. Plus rapide en courbe que la Lotus 49, elle est néanmoins plus piégeuse, notamment dans le virage 3. La limite n’est pas si claire et lorsque qu’on appuie un peu trop longtemps sur les gaz, un coup de raquette instantané vous le rappelle. Par ailleurs dans tout le dernier secteur, et ses virages lents, le sous-virage est important. Il n’empêche qu’avec cette voiture, le meilleur temps est de 1:46.550. Dix secondes de mieux que la génération précédente.
La Lotus 78 est la première voiture à effet de sol. Conçue comme une aile d’avion inversée, l’air déplacé sous la châssis a plus de vitesse que celui passant par-dessus. De cette différence naît une dépression qui « aspire » la voiture au sol sans compromettre la vitesse de pointe. Le Cosworth DFV développe désormais 475 cv. Lotus gagna le championnat constructeur en 1977. Au premier roulage avec la Lotus 78, on ne peut s’empêcher de comparer avec la 72 : elle accuse 15km/h de moins et pourtant le premier chrono réalisé, sans le moindre réglage, est en 1:42. Où gagne-t-on ? La 78 ne souffre plus de sous-virage dans les enchaînements lents et pas de survirage en sortie des courbes rapides. Les pneus sont les mêmes que ceux de la 72, par contre ils sont bien plus chauds, voire presque trop. Le 3 passe presque à fond, et pour le 9, on lève seulement le pied un instant pour engager la voiture. Meilleur temps en 1:40.50, encore 6 secondes gagnées !
Avec la 98T, Lotus dispose du moteur Renault estimé en qualification entre 1200 et 1300 cv. Des puissances démoniaques que les pilotes n’étaient probablement capables d’exploiter qu’en ligne droite. Senna parvient à en tirer 8 poles et 2 victoires en 1986. En m’installant dans la voiture, je découvre également la waste gate, la porte de sortie. Par défaut réglée à 4.7 bars, le moteur rend 890 cv. En poussant au maximum, soit 6 bars, on approche des 1200 cv. Ce n’est qu’un chiffre. Pourtant c’est un autre monde. On a souvent entendu parler du temps de réponse du turbo. C’est lié à la turbine qui est entraîné par les gaz d’échappement. Sans gaz pas de puissance. Voici comment cela se passe, on appuie à fond sur l’accélérateur, il ne se passe presque rien, on attend, on compte 1, 2 et là une puissance brutale, on doit presque lever le pied pour contrôler. Le plus compliqué est de gérer les sorties. On accélère avant, sachant que la moteur prend du temps à réagir. Mais quand cela arrive, notamment en sortie du 4, le volant peut être encore bien tourné, avec un mur bien trop près. Meilleur temps, en 1:33.13
La dernière voiture n’est pas une Lotus, mais une Formule A. Une astuce de nommage pour éviter les restrictions de droits de la F1. Mais il s’agit bien d’une Formule 1 récente puisque datée de 2011, moteur V8 de 755 cv, avec un KERS. L’écart avec la 98T est de presque 20 ans. Tout y est différent. Le volant est une guirlande de noël. La position de conduite est en arrière des suspensions avants. Le V6 a laissé sa place à un V8. L’architecture de la voiture étant différente, le comportement devrait l’être tout autant. Ce qui est réglable n’a pas beaucoup changé depuis 50 ans. Un pilote, quel qu’il soit, a besoin d’une balance qui lui convienne. Légèrement sous vireur, ou survireur, selon ses goûts. Je ne fais pas exception. Avec l’habitude, je prépare un setup de base. La garde au sol est baissée. Le réservoir est rempli de quoi faire dix tours. Puis vient le choix des pneus. Pour chacune les Lotus, trois types étaient disponibles dont des pluies. Pour la Formule A, pléthore de pneus aux noms peu explicites. Il faut donc les essayer chacun avec un setup souple, sans rouler à la limite, pour déterminer leur efficacité sur la piste de Barcelone. Une étape nécessaire et fastidieuse comme à la grande époque de la guerre entre Michelin et Bridgestone, où Franck Montagny limait le bitume pour Fernando Alonso. Trois éléments apparaissent de cette ennuyeuse promenade. Les freins en 20 ans ont beaucoup progressé. Tous mes points de freinages ont reculé même avec la 98T qui avait déjà des freins carbones pourtant. En 2011 une Formule 1 dans les virages lents est très lunatique. Sans antipatinage, le 1er et le 2ème rapport, doivent être choyés. Pas question de la jouer godasse de plomb. Dans les rapides, tout est différent. Évidemment le freinage est primordial pour permettre le changement de cap, mais dès qu’il est possible de débraquer, la voiture peut être chargée considérablement tout en la gardant sur des rails. Par exemple après le 3 et juste avant le freinage du 4 je suis en 6ème autour de 280km/h. Piloter à la limite cette F1 moderne s’avère moins confortable qu’en ballade. Les pneus sont les maîtres du temps. Trop chaud, la voiture survire, trop froid elle bloque les roues au freinage, et peine à rentrer dans les courbes. Pour réussir 1.28.20, j’ai du vraiment pousser partout où c’était possible. Dans le 3 je suis passé à fond, et dans le 9 j’ai levé le pied un instant pour en sortir autour de 230. Le tour n’est pas parfait, mais il ne me manque pas grand chose pour être au bout de ma propre limite.
La F1 reste la F1. Un règlement, des voitures, des pilotes, des équipes d’ingénieurs, des circuits. En dehors du gain en temps au tour qui est une évidence, ce que je retiens plutôt est l’évolution du comportement des voitures. Darwin aurait aimé la F1, même si Barcelone n’est pas les Galápagos. Les équipes s’adaptent toujours à leur environnement, en commençant par le plus évident, le plus efficace. Il s’agit de gagner là où ou l’on perd. La lotus 72 réduisait la traînée. La Lotus 78 augmentait l’appui par l’effet de sol. La Lotus 98T gagnait en puissance. Chaque année est une étape. Chaque année est une amélioration. En 2014, les gains en aérodynamique semblant plus difficiles, les équipes jouent une autre partition. L’essence et les logiciels d’exploitations des groupes propulseurs n’ont jamais été autant présents que depuis cette année. Ils sont pourtant là depuis toujours.
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About The Author
Jacky Ratzenberger
Passionné de F1 depuis plus de 30 ans, nouvel entrant dans le SAV de la F1, aussi bavard que Dino, Prix Nobel comme Fab, technicien comme Gusgus, chronologique comme Shinji, adorable comme Jenni, triste pour Webber comme Helder, adorant Londres comme Big Ben, cinéphile comme Jassem, et vieux comme Buchor. Également pilote virtuel, et rédac chef de l'unique revue francophone sur la simulation de courses auto (live-sim.com).
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Bien sympa ce récit, bravo !
PS : C’est chipoter, mais il me semble qu’il vaudrait mieux parler de variables et non d’inconnues dans « la F1 est une équation à plusieurs inconnues ».
Super article, merci.
Tu m’as donné envie de m’y mettre plus sérieusement!
C’était très sympa à rouler, effectivement. J’ai même pensé essayer le même exercice à Monaco, mais je n’ai pas encore eu le temps.