« Taisez-vous, Montezemolo ! »
|Pas plus que Georges Marchais n’a asséné cette phrase assassine à Jean-Pierre Elkabbach, personne n’a réclamé directement et en personne le silence de Luca di Montezemolo après sa visite remarquée dans le paddock ce week-end. C’est pourtant en substance le message adressé au Président de Ferrari par le déroulement du Grand Prix de Bahreïn 2014.
Au lieu de souffler dans les bronches de ce qui reste de l’écurie professionnelle de course qui devrait servir de vitrine d’excellence à la marque automobile qu’il préside, M. Montezemolo avait préféré axer sa dernière visite commando aux paddocks de Formule 1, dont lui seul à le secret, sur une contestation franche du millésime 2014 de la F1.
Avant même de présenter les arguments des uns et des autres, force est de constater que la saillie était déjà gênante avant d’avoir eu lieu : Ferrari, tout comme l’ensemble des autres écuries et motoristes, la FIA et la FOM, a participé à l’élaboration et à la ratification des règlements qui font de cette nouvelle ère de la F1 ce qu’elle est. C’est le Conseil Mondial du Sport Automobile du 29 juin 2011, il y a plus de deux ans et demi, qui a gravé dans le marbre les grandes lignes de la motorisation actuelle, qui n’ont pas varié depuis. C’était pendant ce laps de temps, voire avant, qu’il fallait réfléchir à ce cocktail, souligner d’éventuels problèmes et se donner une marge de manœuvre pour les corriger, et pas maintenant, devant le fait accompli. On ne peut donc s’empêcher de se demander ce qu’il en serait si, par le plus grand des miracles, Ferrari dominait à la place de Mercedes. N’ayant pas moi-même d’opinion totalement arrêtée sur la question, je laisse chacun seul juge.
Quoi qu’il en soit, l’intéressé, qui avance masqué derrière la défense de l’intérêt du public (soit dit en passant, les fans sont-ils réellement une masse de personnes ayant le même avis sur la question ?), pointe en premier lieu les limitations autour du carburant, transformant les pilotes en chauffeurs de taxi – peut-être est-ce vraiment le cas chez Ferrari vu les performances de la F14 T ? – et n’étant pas de la F1 car pas de l’attaque du premier au dernier tour.
Vraisemblablement, M. le Président a oublié son passage à la tête de la Scuderia dans les années 1970, où un pilote qui aurait conduit comme il en défend l’idée aujourd’hui finirait ses courses tel un Andrea de Cesaris des grandes heures : bien plus tôt que les autres car soit accidenté, moteur ou boite cassés, ou pneu déchiqueté. Les dompteurs des turbos des années 1984 à 1988 seront également ravis d’apprendre que, comme ils avaient eux aussi des restrictions d’essence et de puissance – via la pression de turbo – en course, ils ne faisaient pas de la Formule 1. Deux périodes qui selon beaucoup d’anciens constitueraient l’âge d’or du pinacle du sport automobile.
Bizarrement, la F1 « toutes dents dehors » que défend Montezemolo, c’est celle qui chevauche la fin des années 1990 et le début des années 2000 où, coïncidence, Ferrari a amassé pas moins de 6 titres constructeurs et 5 titres pilotes entre 1999 et 2004, sans faire l’économie de quoi que ce soit – essence, pneus, moteurs, mais surtout argent. Point d’orgue de cette période : la fameuse stratégie à 4 arrêts déployée, avec succès, lors du Grand Prix de France 2004, où la durée de vie moyenne d’un train de pneus s’est établie à à peine plus de 60 km. Génie tactique, peut-être, mais surtout preuve des absurdités qu’entraîne l’attaque à outrance, le tout pour une course qui finalement n’est pas restée dans les mémoires pour son côté spectaculaire mais pour des considérations stratégiques.
Deuxième grief du grand patron des rouges, le bruit des V6 – on n’en a que trop parlé. Si l’on entend bien les critiques des amateurs de sensations fortes – le volume à diminué, selon la FIA, de 11 décibels, ce qui représente une puissance sonore divisée par 12,5 -, on ne peut s’empêcher de noter que la F1 est avant tout un sport automobile de vitesse, et non un concours de génération d’énergie acoustique. En ce sens, si le bruit ne favorise pas des courses passionnantes, il ne les empêche pas non plus, preuve en a été faite hier à Sakhir.
La diminution du volume sonore est dommageable, mais les décideurs qui nous promettent un retour en arrière ont-ils de vraies solutions ? Pour l’instant, les acteurs se sont simplement mis d’accord sur la réalité du problème et la nécessité de travailler sur la question. Ça ne vous rappelle rien ? Mais si : la réduction des coûts à laquelle nous devions assister pour 2015, et qui, on le sait depuis ce week-end de la bouche de Jean Todt, ne passera finalement pas par la limite globale des dépenses qui avait été promise en décembre. Le fait est, comme pour ce dossier-ci, que l’absence d’évocation de la moindre mesure concrète vaut aveu d’impuissance. Acceptons donc ce prix à payer, réel, mais somme toute modéré, au profit de la modernité de la discipline, dont la technologie des V8 commençait à être poussiéreuse. Et voyons le possible bon côté des choses : même si le prix du baril augmente dans les prochaines années, ces nouveaux moteurs aideront peut-être à ne pas faire monter d’autant le prix du plein.
Enfin, dernière critique de Montezemolo, la complexité du règlement, notamment sur le débitmètre. Et là, permettez-moi de commencer en pouffant. Par essence, la Formule 1 est de toute façon un sport complexe. Comment voulez-vous que ce ne soit pas le cas avec un règlement de 144 pages, sans les annexes et autres règles communes à tout le sport automobile ? Pourtant, ça n’a jamais empêché sa consommation par des publics très différents dont les niveaux de lecture varient, du spectateur occasionnel qui regarde une course de vitesse – dont les codes sont universels : le vainqueur est celui qui parcourt la distance prévue le plus rapidement – sans avoir besoin d’en savoir plus pour apprécier, au passionné qui analyse les longs relais des essais libres et tente d’y déceler les niveaux de performance des uns et des autres.
Et puis, sérieusement, qu’y a-t-il de compliqué à la règle sur les débitmètres ? Si on met le chiffre de côté, elle s’énonce en une phrase simple : le débit d’essence qui sort du réservoir est limité. Point. Les complications sur le débitmètre, c’est la FIA qui se les crée en ne bétonnant pas ses règlements, et ce sont les écuries qui les cherchent justement pour tirer un avantage sur les autres en se jouant de l’instance législatrice. Et ceux qui sont un peu perdus trouveront toujours, grâce aux moteurs de recherche ou, par exemple, à notre répondeur, quelqu’un pour leur expliquer.
Mais finalement, la meilleure réponse aux déclarations du grand manitou de Ferrari, et accessoirement au discours de Bernie Ecclestone, c’est le Grand Prix de Bahreïn lui-même qui l’a apportée : même à distance en milieu de course, Lewis Hamilton et Nico Rosberg se sont livré un duel où il n’a jamais semblé qu’ils se soient économisés un seul instant malgré les restrictions, et surtout pas lorsque, roues dans roues, et à plusieurs stades de la course, ils se sont attaqués sans relâche pour la tête.
Heureusement pour nous, Luca di Montezemolo est très mal tombé et est passé pour un guignol en Mondovision. Alors, cher Président de mon écurie de coeur, si je suis évidemment en faveur de la liberté d’expression, je suis aussi pour qu’on ne l’utilise pas pour dire des conneries. Mettez-la donc un peu en veilleuse et occupez-vous d’abord de l’écurie qui fait honte aux tifosi depuis 2008.
Tu as tout dit. Merci Gusgus !
Je me sent con d’écrire un commentaire qui ne va rien apporter, mais tu as dit exactement ce qu’un fan de Formule 1 et de Ferrari peur dire ou penser.
La Scuderia est endormie depuis de nombreuses années, et peine à prouver qu’elle est encore un (le) symbole de la catégorie reine.
Encore bravo..
Luca di Montezemolo était totalement opposé au changement de moteur, et ne voulait entendre parler d’un six cylindres car pas assez noble pour cette marque prestigieuse et ce sport que la Scuderia aime tant. Après effectivement Luca di Montezemolo a accepté ce changement de motorisation mais la mort dans l’âme car elle n’avait pas le choix puisque les autres étaient pour…
FERRARI ne fait pas honte aux tifosis tous les ans, 2008, titre perdu de peu (doux euphémisme), 2010 pareil, 2012 sans Grosjean et son carton de Spa, Alonso qui méritait le titre l’aurait empoché… Donc la honte oui mais pour 2009,2011,2013, visiblement cette équipe n’apprécie pas les années impaires.. lol !
Pour ce qui est du spectacle, hormis ce GP et grâce aux pilotes Mercedes, j’ai pu ne pas m’endormir contrairement aux deux premiers…
Le son n’est pas très excitant, mais c’est surtout toutes ces règles stupides, de consommation, de pneus, de gestion, etc qui tuent la F1, qui devient de petites courses d’endurance, la F1 cette vitrine technologique devrait être à fond du début à la fin, sans devoir gérer tous ces paramètres.
Inutile de préciser que je suis un tifoso de coeur depuis tout petit…
Bravo à Mercedes qui a produit une redoutable machine à gagner, Costa le licencié de FERRARI doit bien rigoler…pendant que Alonso pleure car il sait déjà que c’est fichu pour cette année, et ce ne sont pas les commentaires politiquement correct qui vont me faire penser que cette écurie espère rattraper presque deux secondes au tour.
Personnellement, je pense que Ferrari se cherche depuis 2008. Premiers signes avant-coureurs de la déroute à venir, lors de cette saison – chose rarissime – Massa a cassé un moteur en Hongrie alors qu’il était en tête, et la Scuderia s’est perdue avec le système de feux rouges dans les stands, ce qui à première vue ne semble pourtant pas la mer à boire à mettre au point, qui a notamment coûté le GP de Singapour à Massa, mais fait des siennes en d’autres occasions. 2008 reste tout de même leur meilleure saison sur la période 2008-2013, mais c’est ça qui est inquiétant.
Je ne reviens pas sur 2009 et 2011. En 2010 et 2012, la lutte pour le titre est l’arbre qui a caché la forêt. Alonso se bat en 2010 parce que le championnat est très disputé, et perd la couronne 2010 pour une bête erreur de stratégie. La F10 était plutôt rapide mais elle a souvent rendu plusieurs dixièmes à la RB6 et/ou à la MP4-25. Idem pour la F2012, dont la fiabilité est à louer, mais qui n’était pas du tout au niveau de performance auquel devrait se trouver Ferrari. Et quand, enfin, en 2013, Ferrari a pondu une des meilleures voitures d’entrée, on a revu des erreurs bêtes (l’aileron d’Alonso en Malaisie, son DRS à Bahreïn) puis il s’est révélé impossible de la développer.
Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’aucune innovation de cette période devant être absolument reprise par les autres n’est sortie des ateliers de Maranello. Pendant ce temps-là, McLaren sortait le F-Duct, Red Bull les diffuseurs soufflés, les suspensions à tirants à l’arrière, Mercedes la suspension FRIC et le double-DRS, etc.
Quant à vos affirmations sur le spectacle, vous ne faites que répéter le discours prémâché de Montezemolo, Ecclestone et consorts, que le Grand Prix de Bahreïn a totalement contredit et auquel j’apporte d’autres contre-arguments dans l’article.
Le seul point à décharge pour Montezemolo, c’est que les moteurs auraient pu être encore plus petits qu’ils ne le sont cette année (on parlait d’un 4 cylindre à un moment).
Pour le reste, effectivement, Ferrari se prend un retour de bâton de ses « grandes » années où cette équipe roulait sans compter et surtout a écrasé quelques championnats.
Une course comme hier n’aurait jamais été possible grâce à Ferrari qui prenait bien soin de désigner le pilote qui finissait premier…
Saluons Mercedes qui a l’intelligence de ne pas s’essuyer les pieds sur le championnat malgré une voiture dominatrice. Elle, au moins, en a 2 😉
C’est bien d’être « fan » et d’oser dire les choses. Bravo. Quand en plus il s’agit de flinguer le grand patron de Ferrari, je dis double bravo : on ne touche pas à Ferrari, Prostichon, parmi d’autres, l’a appris à ses dépens. Et justement vient ici l’un des grands soucis de Ferrari, à mon humble avis. La grande Ferrari dont le palmarès absolu est inégalé… mais dont la performance relative est à nuancer. Pas assez d’humilité chez Ferrari, trop d’omerta, trop de politique, toutes ces choses qui finalement méritent un revers de médaille tôt ou tard. Ferrari y est depuis maintenant une paire d’années, et il y a fort à parier que ça n’est pas fini.. Exit les critiques sur le moteur Renault, on va maintenant pointer du doigt, à juste titre, les lacunes du propulseur Ferrari. On ne peut plus pointer l’aéro, leur soufflerie est flambant neuve, me trompé-je ? 😉 Ca n’est qu’un début, je pense que la Rossa va vivre cette année une révolution dont elle avait besoin depuis longtemps.
Pas grand chose à dire sur cet article, a part qu’il est très bon. Malheureusement j’ai pu constater que, malgré la course d’hier ( ! ), certains trouvent toujours à en dire. Notamment » qu’en tout il n’y a eu que 10 min d’action « …
Je pense que les vrais Fan de ce magnifique Sport, et non d’un pilote ou d’une écurie, savent qu’ils ont assistés à un des plus beau Gp de l’Histoire.
Bien le jeu de mot : « (…) notamment sur le débitmètre. (…) Par essence, la Formule 1 est de toute façon un sport complexe. » ^_~
Encore merci Gusgus pour ces opinions qui mettent des mots sur ce que pense les vrais fan de F1. Bravo
Personnellement, j’adore cette nouvelle version de la F1 (je n’aime pas dire la « nouvelle F1 » car c’est toujours la F1 qui me fait vibrer même si elle a changé) et je trouve qu’elle se donne une bonne image vis-à-vis du public. Quand j’explique les modifications à des amis, il trouvent ça pas mal. Ceux qui râlent ne sont pas des vrais fans mais de simples gens qui n’avaient rien à faire de leur dimanche après-midi. D’ailleurs, ce n’est pas eux qui se lèvent le matin quand la course est à 7heures… Je suis toujours aussi impressionné par la vitesse de ces bolides et leur technologie est tout simplement exceptionnelle. Je n’ai jamais connu les V12 donc je n’ai pas énormément de points de comparaison mais les V6 ont quand même un bruit magnifique. Je pense qu’il ne sert à rie de vouloir comparer les deux types de moteurs (surtout qu’il y a le turbo en plus) et que ce n’est pas plus mal de pouvoir se parler sur un GP.
Bravo Gusgus