Merci et adieu Schumi !

Dimanche 16 mars 2014. 07h01. Le bruit des V6 ronronnant dans l’attente de l’extinction des feux envahit la pièce mais ne parvient pourtant pas à étouffer la mélodie qui me trotte dans la tête depuis quelques instants. Encore un peu dans le coltard, affalé sur le canapé, je me laisse distraire par Louis Armstrong et What a wonderful world. Elle sonne vraiment mélancolique à mes oreilles et maintenant que j’y réfléchis, elle me revient souvent lorsque je suis d’humeur un peu triste. Attention, ce n’est pas l’une de ces chansons que j’écoute et qui immédiatement suscite l’inquiétude de mes proches sur mon état moral, pas l’une de celles que je sors du fin fond de ma pile de CD lorsque j’ai le cœur brisé ou que je pense à un être cher. C’est simplement une de ces chansons qu’il m’arrive de fredonner certains soirs d’été, les yeux rivés vers ce ciel couleur d’encre et parsemé d’étoiles et qui me renvoie vers ces petits moments du passé que j’apprécie avec nostalgie.

Mardi 11 mars 2014. 20h36. Je ne sais pas si la voix de Satchmo viendra sonner à mes oreilles dimanche matin mais je sais qu’à cet instant précis où les feux s’éteindront devant les vingt-deux fous furieux qui s’apprêtent à prendre le départ pour Dieu sait combien de tours, toutes les conditions seront réunies pour que je repense à ce Grand Prix du Japon 2003. Aucun de tes sacres ne m’avait autant ému et, j’ai beau fouiller au fond de ma mémoire, je ne retrouve pas d’autre moment où j’ai pu pleurer devant un Grand Prix de Formule 1.

Il faut dire que, très tôt, j’ai appris à me méfier des idoles. En effet, lorsque le Tour de France est passé à Rouen, en 1997, j’avais récupéré un de ces magazines fournis par l’organisation ou l’un des sponsors de l’épreuve. Sans vraiment être fan de vélo, le Tour rimait pour moi avec vacances et évasion. Évidemment, je me devais de choisir un favori et, ô quelle audace, mon penchant est allé pour Richard Virenque. J’avais soigneusement découpé la photo de lui qui couvrait d’une pleine page le magazine que j’avais récupéré et je l’avais accrochée avec des punaises sur l’armoire de ma chambre, sous une belle pochette plastique. Richard, les cheveux décolorés, était ainsi le seul à s’afficher parmi la frise chronologique que j’avais dessinée tout autour de ma chambre et les généalogies des grandes familles royales que j’avais reproduites au dos de rouleaux de papier peint. Puis avait éclaté l’affaire Festina, l’idole était tombée du piédestal que je lui avais érigé, le poster avait été déchiré avec violence et la promesse avait été faite de ne plus jamais afficher la photo de qui que ce soit que je ne connaisse ni de chair, ni d’os…

Ainsi, tout comme Tom Hanks, tu n’as jamais orné les murs de ma chambre. Il y a bien cette photo de toi, sanglé dans ta monture lors d’un arrêt aux stands, mais elle se fondait parmi tant d’autres photos dédiées au Cheval Cabré et encadrées au-dessus de mon bureau. Ironie du sort ou simple fruit du hasard, alors que je déballais les cartons de mon déménagement, il y a à peine quelques semaines, cette photo fut la seule à ne pas avoir résisté au voyage. Brisé, le cadre a fini à la poubelle tandis que cette photo a rejoint celles qui n’avaient pas eu mes faveurs il y a près de 10 ans de cela.

Comme toi, cette photo dort donc paisiblement avec une infime chance qu’elle ressorte un jour de là où je l’ai laissée. Ce n’est qu’à cet instant précis que je prends conscience de ce qu’il m’arrive. La Formule 1 s’apprête à reprendre ses droits et à nouveau tu ne seras pas au départ de la course. Ce n’est évidemment pas la première fois et Kimi, Fernando et désormais Sebastian ont su être tes dignes successeurs. Mais cette année, c’est différent. Les années précédentes, je savais que tu étais quelque part, qu’on te reverrait rôder dans le paddock. Cette fois-ci, je ne sais pas si nous te reverrons un jour et pour tout te dire, je doute que, au moment même où j’écris ces mots, tu sois encore vraiment là… quelque part. Je ne sais pas si la vue de ce cadre à photo, brisé, a été déclencheur de cette prise de conscience ou si c’est moi qui, après coup, face aux rumeurs et analyses les plus pessimistes te concernant, donne du sens à ce qui n’en a pas. Le fait est que je pense que cette victoire-ci est hors de ta portée. Je crois surtout que j’ai peur ! Peur que, si un jour tu te réveilles, tu ne sois plus le même. Peur que le pilote que j’ai croisé lors d’essais privés à Magny-Cours, impliqué auprès de son équipe à quelques semaines à peine de l’annonce de sa retraite, ne soit tout simplement plus.

Je sais que ta famille et tes proches veulent y croire : je le comprends et le respecte. Mais moi, on me le reprochera peut-être, je revendique le droit d’être égoïste et de souhaiter que ton souvenir reste associé à ce dimanche de 2003 où, le bol de céréales posé sur la table, je laissais couler des larmes de joies. Alors, merci et adieu Schumi !

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