Mansell : Fat and Furious
Le circuit de Barcelone fête cette année ses 30 ans. Régulièrement décrié pour produire des courses sans saveur, le circuit catalan s’était pourtant offert en 1991 une édition inaugurale de toute beauté, restée dans les mémoires pour le dépassement de Nigel Mansell sur Ayrton Senna. Petit coup d’œil dans le rétro.
Jerez à la poubelle (de Cadix), direction Barcelone
Septembre 1991, le Grand Prix d’Espagne s’offre un nouvel écrin. Exit Jerez de la Frontera, place au circuit de Catalunya. Incorporé au championnat du monde depuis 1986, Jerez n’a jamais séduit. Dès 1987, avec la bénédiction de Bernie Ecclestone, le Royal Automobile Club de Catalogne commence à travailler sur le projet d’un tout nouveau circuit, à proximité de Barcelone. La capitale catalane vient d’obtenir l’organisation des Jeux Olympiques d’été 1992 et l’idée est de faire concorder les deux événements.
Le projet est finalement anticipé d’un an. Le Grand Prix d’Espagne 1990, disputé devant des tribunes tristement vides et marqué par le très grave accident de Martin Donnelly, sonne le glas du tracé de Jerez. Pas assez spectaculaire, pas aux standards de la sécurité, et trop excentré géographiquement.
Lorsque le cirque de la F1 pose son chapiteau à Barcelone en 1991, elle tombe immédiatement sous le charme. Le circuit est un bijou de modernité. Piste large, technique, bénéficiant d’importants dégagements, installations dernier cri. Et Barcelone, au cœur du bassin méditerranéen, accueille un public nombreux venu des quatre coins d’Europe. Tout le contraire de Jerez.
Pas de quoi faire frétiller la moustache de Nigel Mansell, qui arrive en Catalogne avec son air de chien battu. Trainant un mauvais rhume, l’Anglais souffre également d’une vilaine entorse à la cheville, conséquence d’un choc reçu lors d’un match de football de charité disputé quelques jours plus tôt. Nigel boite bas, ce qui accentue son allure pataude, éternelle source de moqueries au sein du paddock
Mais ce qui est responsable de la mauvaise humeur de Mansell, ce n’est pas sa gorge ou sa cheville, se sont les événements du Grand Prix précédent, au Portugal.
La poursuite infernale
Depuis plusieurs mois, Nigel Mansell dispose de la meilleure voiture du plateau. Sa Williams-Renault FW14, première création d’Adrian Newey pour l’écurie de Didcot, est une merveille. Une merveille, oui, mais très fragile. Sa boîte de vitesse semi-automatique (une innovation dont Ferrari est la seule écurie concurrente à disposer) est aussi efficace qu’elle est peu fiable, et lui a déjà coûté beaucoup de points. On pense bien entendu à son cruel abandon dans les derniers hectomètres du GP du Canada, alors qu’il avait course gagnée, même si les mauvaises langues estiment qu’en saluant la foule et en ralentissant plus que de raison dans la dernière épingle, Mansell est l’unique responsable de son abandon. Mais sa boite a aussi trahi Mansell à Phoenix, à Interlagos et à Spa.
De son côté, Ayrton Senna, malgré une McLaren-Honda moins souveraine que les années précédentes, a pu aligner quatre victoires en début de saison et depuis, gère son avance au championnat dans un style d’épicier qu’on ne lui connaissait pas.
Au Portugal, 13e des 16 manches de la saison, Mansell semblait bien parti pour remporter sa 5e victoire de l’année, mais a tout perdu dans un arrêt aux stands calamiteux. Une roue mal serrée qui s’échappe, les mécaniciens qui tentent de réparer les dégâts dans l’allée des stands, et voilà comment Mansell a reçu un drapeau noir pour la deuxième fois en trois ans à Estoril.
Cette disqualification est une catastrophe au championnat pour l’Anglais. Lui qui a entretenu tout l’été le fol espoir d’un premier titre mondial, se retrouve relégué, en arrivant à Barcelone, à 24 points de Senna, avec seulement 3 courses encore à disputer.
Une rivalité qui fait des étincelles
Le duel Senna-Mansell est le feuilleton de l’année. Dans les gazettes, il a remplacé le duel Senna-Prost puisqu’en cette année 1991, le Français se retrouve impuissant dans une Ferrari hors de forme. Ce n’est pas une rivalité aussi profonde qu’entre Senna et Prost, dont la relation ambiguë, mélange de fascination et de détestation, va marquer durablement l’histoire de la F1, ça n’en est pas moins une rivalité explosive.
Senna ne considère pas Mansell comme un adversaire aussi fort que Prost mais paradoxalement il le craint plus car il sait qu’en piste, l’Anglais, en plus d’être diablement rapide, est capable de toutes les audaces. De toutes les folies aussi.
C’est ce qui fait tout le charme de Nigel, éléphant égaré dans un magasin de porcelaine, funambule en équilibre permanent entre le génial et le grand n’importe quoi. Une partie du paddock, y compris et surtout les médias britanniques, a tendance à mépriser ce pilote balourd, aux allures rustres, parfois pleurnichard. Le public, lui, ne retient qu’une chose : en piste, Nigel, incarnation du fighting spirit, avec son pilotage tout en force, est un régal pour les yeux.
Senna et Mansell, ce sont les deux pilotes les plus spectaculaires, les plus agressifs du plateau. Forcément, quand ils se croisent en piste, ça ne se passe pas toujours bien. En 1987, à Spa, après un accrochage dans les premiers tours du Grand Prix, Mansell, furibard, s’était précipité dans les stands pour coller son poing sur la figure de Senna. En 1989, à Estoril, sous le coup d’une disqualification pour avoir fait une marche arrière dans les stands, Mansell avait ignoré le drapeau noir agité par le directeur de course (« Je ne l’avais pas vu » expliquera t-il benoitement) puis expédié Senna hors piste, faisant irrémédiablement pencher le championnat en faveur de Prost, son futur équipier chez Ferrari.
Mais il y a eu également des moments de pur génie comme au GP de Hongrie 1989 : sur un circuit peu réputé pour être propice aux dépassements, Mansell était remonté de la 12e place sur la grille, jusque dans les échappements du leader Senna, qu’il avait déposé à la faveur d’une manœuvre réflexe au moment de dépasser un pilote retardataire.
En 1991, les escarmouches entre les deux hommes ont été nombreuses, chacun reprochant à l’autre son manque de correction en piste. Dernier épisode en date ? Le départ du GP du Portugal, où Mansell avait dangereusement louvoyé sous le nez de Senna, l’obligeant à lever le pied pour éviter un accident. Le dimanche matin à Barcelone, lors du briefing des pilotes, le président de la FIA Jean-Marie Balestre revient sur l’incident sans citer de noms. Mansell, qui se sent visé, pointe du doigt en réponse les manœuvres de Senna, lequel explose : « Tu n’es qu’un enfoiré, un gros tas de merde ! ».
Schumi, Senna, Barcelona
Il y a de l’orage dans l’air, dans tous les sens du terme. Toute la matinée, et jusqu’à quelques minutes du début de la course, plusieurs averses s’abattent sur le circuit. Lorsque le départ est donné, il ne pleut pas, mais la piste encore fortement humide oblige les pilotes à s’élancer en pneus pluie.
Sur la grille, Gerhard Berger fait figure de poleman surprise. Peu à son avantage depuis son arrivée chez McLaren l’année précédente, l’Autrichien ne devance que très rarement son coéquipier Senna en qualifications, et sa dernière pole remontait à plus d’un an. Il est accompagné sur la première ligne de Mansell, favori logique au regard du niveau qu’il affiche depuis plusieurs semaines. La deuxième ligne se compose également d’une McLaren-Honda et d’une Williams-Renault avec Ayrton Senna et Riccardo Patrese. Alain Prost n’est qu’en sixième position, derrière la sensation du moment, le jeune Michael Schumacher, qui ne dispute que le quatrième Grand Prix de sa carrière, et seulement son troisième chez Benetton-Ford.
Ayrton Senna est le plus prompt lorsque le feu vert s’allume. Il déborde immédiatement Mansell, et semble même vouloir menacer Berger au premier virage, avant de sagement se ranger derrière son coéquipier. Également très bien parti, Michael Schumacher a quant à lui pris facilement le dessus sur Patrese. Très agressif, Schumacher se colle à Mansell dans les premiers enchainements et lui fait impeccablement l’intérieur au virage 5. Survolté et sans le moindre complexe, le jeune Allemand s’en prend ensuite à Senna et parvient l’espace de quelques instants à pointer le museau de sa Benetton devant celui de la McLaren dans le virage 12, avant que le Brésilien ne reprenne l’avantage à l’abord de la grande courbe menant vers la ligne droite de départ. Mansell, très prudent, a lui déjà concédé plusieurs longueurs, et voit même la Ferrari d’Alesi lui revenir dessus.
Dans le deuxième tour, les rapports de force évoluent. Berger prend le large, Schumacher se fait moins pressant derrière Senna, et Mansell, qui a haussé le rythme, revient rapidement sur lui. Le pilote Williams tente une première attaque sur Schumi, repoussée par l’Allemand, avant de lui faire l’extérieur dans le virage 12.
Les yeux dans les pneus
Mansell comble rapidement l’écart qui le sépare de Senna. A l’entame du 4e tour, revenu dans son aspiration, il effectue une première manœuvre d’intimidation. Il passe ensuite tout le tour à harceler le Brésilien en se montrant dans ses rétroviseurs. A l’issue du 4e tour, la Williams est cette fois idéalement blottie dans l’aspiration de la McLaren au début de la longue ligne droite des stands. Juste après avoir coupé la ligne de chronométrage, Mansell déboite et se porte à la hauteur de son rival. Les deux monoplaces dévalent la ligne droite cote à cote, roues contre roues. Sous l’effet du vent, les deux voitures louvoient légèrement, et semblent parfois proches de se toucher, à près de 300 km/h. Les deux pilotes inclinent leurs têtes pour surveiller leurs roues, séparées d’à peine quelques centimètres, ce qui donne presque l’impression qu’ils vont également se défier du regard. Mieux placé à l’intérieur, Mansell a le dernier mot. La scène a duré à peine quelques secondes mais est immédiatement rentrée dans l’histoire de la F1.
Dans les tours qui suivent, la piste s’asséchant, tout le peloton repasse par les stands pour chausser des slicks. A la faveur d’un arrêt mieux exécuté, Senna repasse devant Mansell et même devant Berger, dont le changement de gommes s’est éternisé. Une nouvelle ondée rabat les cartes. Berger double facilement Senna au 12e tour, et dans la boucle suivante, le Brésilien se retrouve une nouvelle fois menacé par Mansell. Cette fois, le duel tourne court : en tentant de résister à l’Anglais, Senna part en tête à queue à l’entrée de la ligne droite des stands. Au 21e tour, Mansell revient sur Berger et prend la tête de la course. Personne ne le reverra.
Vainqueur du Grand Prix, Mansell reprend 8 points à Senna qui n’a terminé que 5e à l’issue d’une des courses les plus laborieuses de sa carrière. L’Anglais maintient ainsi un semblant de suspense au championnat, mais qui ne durera pas. Dès le GP suivant, à Suzuka, Senna porte l’estocade. Une grossière erreur de Mansell, qui se sort en le suivant de trop près lui permet de décrocher son troisième titre mondial.
Un dépassement inoubliable
Senna est champion du monde et pourtant, pour beaucoup, l’image de cette saison 1991, restera le dépassement de Mansell à Barcelone. Un dépassement pas si spectaculaire, au 5e tour de la course, pour la 2e place du Grand Prix, et qui n’a eu que peu d’impact sur le scénario du grand prix puisque la salve d’arrêts aux stands qui a suivi a totalement rabattu les cartes en permettant à Senna de repasser devant. Même la victoire de Mansell restera finalement assez anecdotique au regard du scénario du championnat.
Pourquoi alors cette image est-elle à ce point iconique ? Peut-être parce qu’elle concerne les deux pilotes les plus spectaculaires de leur époque et que pour une rare fois, Nigel Mansell parvenait à se défaire de son costume d’éternel perdant pour faire tomber Senna de son piédestal. Peut-être aussi parce que malgré le titre mondial de Senna trois semaines plus tard, elle symbolise le changement d’ère en train de s’opérer en F1, la fin des années de domination Honda, et le début des années Renault.
Renault ne s’y trompera et dès la fin de la saison, produira une publicité à gros budget reproduisant le fameux dépassement de Barcelone. On y voyait Nigel Mansell (en réalité une doublure, l’ancien pilote Tiff Needell) au volant de la Williams frappée du numéro 5 rouge, défier du regard un adversaire anonyme au bout d’une immense ligne droite, et prendre le dessus. Prélude d’une saison 1992 au cours de laquelle Mansell, Williams et Renault écraseront la concurrence.
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McLovin
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Excellent, c’est justement le prochain GP que je regarde dans mon marathon de rattrapage des GP « historiques ». 🙂
La même année, et juste les 2-3 GP avant, il y a pas mal à dire aussi, sur les premiers GP de Schumi. Les commentateurs de l’époque ne s’y étaient pas trompés : « Il suit le rythme des grands », « Jeune prodige » et il était comparé à… Alesi 🙂