Retour à Zandvoort (3/5) – Roger Williamson, la mort en direct (1973)
|Le dimanche 3 mai 2020 aurait dû marquer le retour, après 35 ans d’absence, d’un monument de la F1 : Zandvoort. Du haut des dunes de la mer du nord, 30 ans d’histoire de la F1 nous contemple. Une histoire parfois tragique, comme le fût l’édition 1973.
La mort aux trousses
12 juin 1966, GP de Belgique, disputé sur le vertigineux et extrêmement dangereux circuit de Spa-Francorchamps, long de 14 kilomètres. La veille, au volant de sa Ferrari, John Surtees a signé la pole position à la moyenne affolante de 232 km/h. Sur des routes de campagne, uniquement bordées de fossés et de poteaux électriques. Le jour de la course, pas de record de vitesse en vue car dès le premier tour, une violente averse sème le chaos dans le peloton et envoie au tapis sept des quinze partants. Parmi les victimes, on compte Jackie Stewart, le jeune leader du championnat du monde. Au volant de sa BRM, l’Écossais est parti en aquaplaning, est sorti de la route, a rebondi sur un poteau électrique avant de pulvériser une cabane en bois et a fini sa course à l’envers, en équilibre au-dessus d’un fossé.
Stewart n’est que légèrement blessé, mais la colonne de direction lui coince la jambe et il ne parvient pas à s’extraire seul de sa monoplace. Avec angoisse, il sent l’essence couler sur son corps et redoute que sa voiture s’embrase. Seuls ses coéquipiers Graham Hill et Bob Bondurant, accidentés à proximité, tentent de lui venir en aide. A l’aide d’outils empruntés à un « spectateur » (en réalité un fermier qui travaillait à proximité), et au bout de plus de 25 minutes d’effort, ils parviennent à le dégager. Une première ambulance finit par arriver pour l’évacuer au « centre médical » du circuit, qui s’avère n’être qu’une pièce jonchée de mégots et de canettes de bières. Une deuxième ambulance l’emmène ensuite à l’hôpital de Liège, mais trouve le moyen de se perdre en chemin. Au cours de ces péripéties, Stewart a le temps de méditer sur la question de la sécurité en F1 et aboutit à la conclusion que tout reste à faire.
A partir de ce jour, il sera le grand avocat de la sécurité des pilotes, s’attirant les foudres de certains glorieux anciens (« les pilotes ne savent plus mourir » dira l’un d’eux avec mépris), mais aussi d’une bonne partie du public. Car oui, le public considère que mourir fait partie du métier de pilote de course. Il y voit même quelque chose de chevaleresque. Mourir au volant, tel un Viking qui périt les armes à la main, c’est la condition pour accéder au Valhalla des pilotes. Penser le contraire, c’est être un trouillard. Peu importe l’horreur de certains accidents puisque le public n’y est que rarement confronté de manière directe. A cette époque, la F1 ne se regarde pas en direct à la TV, mais se déguste généralement le lundi matin, dans les pages sportives de son quotidien préféré, avec le café et les croissants. Et si les circonstances d’un accident sont irracontables, l’envoyé spécial saura édulcorer son récit pour ne pas en rendre la lecture trop indigeste.
La mort aux yeux de tous
29 juillet 1973 à Zandvoort. Jackie Stewart est toujours là. Depuis 1966, il est devenu le meilleur pilote de la planète. Il compte deux titres de champion du monde à son palmarès et s’apprête à en ajouter un troisième. Le simple fait d’être encore en F1 est en soi un exploit car le sport automobile vit ses heures les plus meurtrières. Depuis 1966, l’Écossais aux légendaires rouflaquettes a perdu énormément de camarades et n’a jamais renoncé à sa croisade en faveur de la sécurité des pilotes, aussi impopulaire soit-elle. Toutefois, quelque chose a changé depuis 1966. Désormais, les grands prix de Formule 1 sont de plus en plus régulièrement diffusés en direct, en mondovision.
Et c’est au 8e tour du grand prix que le drame se joue. Suite à une crevaison, le jeune pilote anglais Roger Williamson perd le contrôle de sa March et percute le rail externe dans le virage de Hondenvlak. La voiture rebondit, se retourne et prend feu, avant de s’arrêter de l’autre côté de la piste. Compatriote et ami de Williamson, David Purley le suivait au moment de son accident. Il s’arrête immédiatement côté opposé, et traverse la piste pour aller aider son camarade. Williamson, qui n’a pas perdu connaissance suite à l’accident, est coincé et crie pour qu’on l’aide à sortir de sa monoplace en feu. Purley tente de retourner la voiture, mais seul, n’y parvient pas. Autour de lui, les commissaires, qui ne portent pas d’habits ignifugés, n’osent pas s’approcher du brasier et ne lui apportent aucune aide.
Alors que la course se poursuit et que les monoplaces continuent à passer sans ralentir, Purley traverse à nouveau la piste, arrache des mains d’un commissaire un petit extincteur, et revient pour tenter d’éteindre le feu, mais son action est inefficace. Dans un ultime effort, il essaye à nouveau de retourner la monoplace, tout en implorant l’aide des personnes autour de lui, ainsi que celle des autres pilotes, mais en vain. Dans la March en feu, Roger Williamson, ne crie plus. Il est mort. Asphyxié. Purley a compris et s’éloigne, écœuré. Toute la détresse du monde se devine dans son attitude.
Les caméras de télévision n’ont pas perdu une miette du drame qui s’est joué. Désormais, la mort en F1 n’est plus une évocation abstraite et romancée dans le journal du lundi matin. Le public a vu, en direct, l’insupportable : un homme mourir dans les flammes, pendant que son ami, seul, tentait l’impossible pour le sauver. Le combat de Jackie Stewart, moqué et décrié depuis tant d’années, apparaît alors enfin aux yeux du plus grand nombre tel qu’il a toujours été : indispensable.
à la suite du GP de Belgique 1966, Stewart avait fait installé dans son cockpit, un clé à molette pour démonter le volant de sa Monoplace. ce qui m’avais choqué lors de ce funeste GP de Hollande, c’est qu’aucun pilote ne s’est arrêté. Stewart compris.
Aucun pilote ne pensait qu’il y avait encore un pilote dans la voiture, impensbale.
mon premier souvenir de sport auto, j’avais 6 ans!