Bahreïn 2014 : Regard d’un passionné sur le plus beau de tous les Grands Prix

Ce n’est pas une défaillance de votre ordinateur, n’essayez donc pas de régler vos paramètres de configuration. Non, mon compte n’a pas été piraté. Je ne suis pas victime de dyslexie des chiffres, je ne pense pas non plus que le dernier Grand Prix du Bahreïn fut le plus grand de l’Histoire de la F1, je n’ai pas oublié les neuf centièmes à la fin de ma note – même si j’ai été tenté – et mon clavier se porte bien Helder, merci. J’ai donc bien sciemment et consciemment attribué la note de 19,9 au dernier Grand Prix du Bahreïn, une note qui frise l’excellence voire la perfection mais qui ne l’est pas.

Contrairement à ce que vous avez pu vous dire en écoutant le SAV de la course du Grand Prix du Bahreïn ou que vous commencez peut-être à vous dire en lisant ces lignes, je n’ai pas cédé à l’euphorie du moment au terme d’un Grand Prix ponctué, entre autres, d’un duel d’anthologie entre Lewis Hamilton et Nico Rosberg. Évidemment, je me suis demandé si je ne devais pas mettre une note plus basse histoire de me ménager une marge, au cas où… on ne sait jamais, il suffirait qu’il y ait mieux ! Mais plutôt que de céder à la joie et l’allégresse de ce début de soirée, je me suis laissé envahir par le fatalisme que m’inspirent les deux premières courses de la saison et, de manière générale, l’Histoire de la reine des catégories du sport automobile. Je me suis dit : « Mais attends, Dino, si jamais y a mieux ? Mais c’est quoi cette connerie, ouvre les yeux ! Déjà que le Grand Prix que tu viens de voir, tu le classes comme l’un des plus beaux dont tu ais été spectateur ou téléspectateur, alors même que ce n’est ni Ferrari ni Sebastian Vettel qui y ont gravé leur nom, et tu devrais te dire : « On ne sait jamais, il suffirait qu’il y ait mieux ! » »

En écoutant mes camarades gloser sur nos notes respectives quant à cette course, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que les superlatifs ne manquaient pas et que le champ lexical de l’espoir était omniprésent. Ce Grand Prix était donc exceptionnel. Mais est-ce que parce que c’était un moment d’exception, je devrais prendre un pari hypothétique sur l’avenir que peut-être, d’ici la fin de saison, il y aura mieux. Et bien s’il y a mieux, je mettrais 19,91 ou 19,99 ou même directement 20. Après tout, les juges du concours de gymnastique des Jeux Olympiques de Montréal 1976 ne se sont pas souciés de savoir si l’on pouvait espérer voir mieux avant d’attribuer la note parfaite – six – à la jeune Nadia Comaneci.

Salvadore Dali, du haut de ses célèbres moustaches, a dit un jour : « Ne craignez pas la perfection, vous ne l’atteindrez jamais ! » Après tout, même notre système de notation, censé établir une vaste échelle de nuances entre la nullité absolue et l’inaccessible perfection, a été pris à défaut par une lycéenne du Pas-de-Calais, bachelière avec une moyenne de 21,18. Le fait est que, comme ces juges confrontés à cette jeune roumaine bourrée de talent, j’ai voulu marquer par ma note un moment que je pensais historique. J’ai fait l’impasse sur l’avenir, même si j’ai préféré me ménager une petite marge de sécurité de 0,10 point pour noter un Grand Prix qui serait éventuellement meilleur.

A mes yeux, le duel entre Lewis Hamilton et Nico Rosberg – quoique les attaques fussent parfois téléphonées comme on a pu le signaler fort à propos – n’a rien à envier à l’empoignade musclée de Gilles Villeneuve et René Arnoux à Dijon, en 1979. Jusqu’à très récemment, on disait – moi le premier – que cela ne serait plus possible dans une F1 moderne aseptisée et ultra-règlementée, que de toute façon, de nos jours, l’intérêt des équipes primait sur les désidératas des pilotes. Et pourtant, ce dimanche, deux pilotes Mercedes se sont livrés bataille avec respect et autorité. En descendant de sa voiture, comme moi devant mon écran de télévision, Nico Rosberg, alors qu’il ne cacherait pas en conférence de presse sa déception de terminer deuxième, exultait, bondissant sur son coéquipier qui, à mon avis, ne s’attendait pas à une telle accolade.

Comme moi, à cet instant précis, Nico Rosberg ne mesurait sans doute pas l’éventuelle portée historique de sa lutte avec le natif de Stevenage mais manifestait simplement le plaisir qui l’avait saisi au terme de ce moment rare pour ne pas dire unique. Derrière, Sergio Pérez et Daniel Ricciardo ont été spectaculaires, déjouant les pronostics qui les donnaient laminés par leurs coéquipiers. Les Ferrari, engagées sur leur chemin de croix bahreïni, nous ont elles-aussi offert de beaux moments comme cette défense pleine de roublardise de Kimi Räikkönen sur Daniel Ricciardo. Même la mise en grille, lorsque les Flèches d’Argent, tournées l’une vers l’autre, se regardaient en chien de faïence, prêtes à bondir, ne me laissait pas espérer voir une course où les détracteurs de Red Bull et Sebastian Vettel allaient connaître un nouveau camouflet, l’Allemand faisant preuve de la classe rare des champions en acceptant de subir la vindicte de son coéquipier (même si quelque chose me dit que le quadruple couronné devait bouillir intérieurement). Et je n’oublie pas cette image spectaculaire de l’accident d’Esteban Gutiérrez, passé à l’essorage par Pastor Maldonado, une image devenue belle parce que grâce aux progrès de la sécurité, le pilote Mexicain a pu ressortir indemne de l’hôpital le soir même. On peut d’ailleurs regretter que cet incident soit à l’origine du final flamboyant de la course, mais reproche-t-on au grain de poussière déposé sur le cristal d’une flûte à champagne d’être à l’origine des bulles qui font toute la saveur et le charme du nectar des champions ?

Loin d’être la perfection, ce Grand Prix en avait le goût, l’odeur, la texture, la chaleur. Est-ce le plus beau Grand Prix de l’Histoire ? Je ne sais pas et il serait bien difficile pour quiconque de pouvoir en juger : du haut des 900 Grands Prix qui nous contemplent, il en est devant lesquels j’ai somnolé, certains que l’on m’a raconté avec la passion de l’instant vécu, d’autres que j’ai découvert sur papier glacé. Je suis quoiqu’il arrive dépendant de la vision d’un autre et ne peut me faire juge que sur ma seule expérience, dépendant de mon parcours et de mes perceptions. J’ai fait le choix d’apprécier cette Formule 1, de savourer ces moments d’exception et d’apprécier que ce ne soit pas caviar tous les week-ends. Je suis content d’avoir vu ce Grand Prix et, pour tout dire, mon seul regret c’est que je ne puisse que le raconter à mes enfants et petits enfants. Car si ma passion sera probablement toujours intacte et donc communicative, elle ne remplacera jamais le fait d’avoir vécu ce Grand Prix en direct.

Ce week-end, un peu comme lorsque j’ai vécu pour la première fois une course depuis les abords du circuit, ce que je regardais avait du sens, ce n’était pas vain. Et pourtant, c’est un Grand Prix que je ne regarderais peut-être plus jamais par simple peur que l’image que je m’en suis faite sur le feu de l’action, que le regard que j’ai porté sur cette course, ne diffère avec le temps. Mais mettre 15 ou 16 en espérant mieux, c’est un vœu pieu, on sait tous très bien qu’il y a peu de chance que cela arrive. On peut se laisser une marge quand on pense qu’il y a en a une, mais sincèrement, qui pense aujourd’hui que la Formule 1 nous régalera comme ça toute la saison ? D’ailleurs, est-ce seulement souhaitable ?

Mais au final, peu importe la note, chacune d’entre elles étant le témoin du plaisir que nous avons tous partagé devant nos écrans. Tous ? Non, car pour certains cette course était sans doute bonne à donner en pâture aux cochons. J’avoue qu’au-delà de l’incompréhension, j’avais d’abord envie d’envoyer se faire voir tous ceux qui n’avaient pas su apprécier ce Grand Prix comme nous, trouvant de nouvelles raisons de critiquer la Formule 1, de venir troubler la fête… notre fête… ma fête. Mais la colère a laissé la place à la tristesse. J’étais triste de voir que, pour d’autres, le fatalisme qui m’habite est tel qu’ils en ont perdu le goût des bonnes choses. Triste et malheureux de voir qu’on l’on peut à ce point être dégoûté par la Formule 1 mais trouver encore la ressource de se l’infliger alors qu’il y a tant de bonnes et belles choses à faire en ce bas monde, que la vie est trop courte pour en perdre la moindre goutte en efforts vains. Triste de me dire que les déçus de la F1 sont souvent ceux qui se sont lassés d’espérer…

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