GP Canada 2016 – Hamilton l’emporte, désignez votre Quinté± !

Alors qu’on se le dise avant toute autre chose : je ne vais pas me muer en Toto Wolff ou en Thomas Sénécal et vendre un duel Mercedes-Ferrari pour le championnat, loin de là (il est bien logique, bien que frustrant quand on voit la réalité des choses, que les organisateurs, les écuries, les diffuseurs et les observateurs, qui ont besoin de garder un public nombreux, travestissent un peu le fil des événements pour faire monter la sauce). En tout cas, il suffit de lire ce que je dis de la Scuderia sur Twitter ou dans mes commentaires sur ce site pour voir que dès l’Australie, je disais que ça n’allait pas le faire, et les courses suivantes ont confirmé cela.

Cela dit, ce Grand Prix du Canada montre que Ferrari peut se placer à portée de tir de Mercedes quand elle parvient à se rapprocher de son plein potentiel – en ne ratant pas sa Q3, en prenant un bon départ, en ne s’emmêlant pas les pinceaux pendant les arrêts aux stands et niveau stratégie (parce que je ne pense pas que tenter deux arrêts soit une erreur), en ne connaissant pas de problème de fiabilité, tous ces éléments n’ayant jamais été réunis sur les courses précédentes. On pourrait même se prendre à regretter les quelques erreurs de Vettel à la chicane et la bêtise de Romain Grosjean, qui aurait bien mérité une pénalité pour non-respect des drapeaux bleus.

Alors oui, il y a beaucoup de bémols à mettre à ce résultat :
– Déjà, sur les qualifs, la faiblesse de l’écart est en trompe-l’œil au vu des tentatives ratées par Hamilton et Rosberg ;
– Hamilton, débarrassé de Rosberg, a peut-être joué avec Vettel en gérant l’écart ;
– L’aérodynamique est moins prépondérante sur ce circuit, et ça convient probablement mieux à Ferrari ;
– Les conditions météorologiques étaient très particulières et elles ont peut-être également joué pour Ferrari ;
– Bien évidemment, cette lutte présuppose que Ferrari soit régulièrement à 100% de son potentiel comme au Canada, ce qui n’est pas la tendance de cette saison 2016.

Néanmoins, depuis 2014, et si on excepte Singapour 2015, qui n’était qu’un épiphénomène ne démontrant pas une réelle tendance à la baisse des Flèches d’Argent, c’est le Grand Prix où un adversaire de Mercedes s’est montré le plus menaçant « à la régulière » sur toute la durée de la course. À quelques reprises (Autriche 2014, Grande-Bretagne 2015 par exemple), les Williams avaient pris un ascendant en qualifications et/ou en début de Grand Prix mais elles s’étaient petit à petit éteintes. Et de manière globale, je trouve que la « bonne avance » des Mercedes est franchement moins marquée que les saisons précédentes. En élargissant l’objectif, Ferrari n’est pas loin, Red Bull retrouve un second souffle, Honda travaille et grappille petit à petit son retard, et Renault se reconstruit patiemment, à commencer par son moteur avant de proposer un vrai châssis en 2017. Alors certes, Mercedes est toujours devant, mais depuis 2014, les perspectives n’ont jamais été meilleures ! Il faut donc savoir, pour l’instant, se contenter de ça, et apprécier la qualité des courses et la densité du peloton en attendant mieux (et 2017 marquant une rupture, les cartes seront peut-être rebattues en défaveur de Mercedes). Croyez-moi, je peux comprendre la frustration, je suis supporter de Ferrari, et je ronge mon frein depuis 2007 ! Mais on peut être frustré le dimanche et réfléchir un peu plus le lundi !

Pour ce qui est des quelques trous d’air dans les dominations de Ferrari et de Red Bull, il faut aussi voir qu’à l’époque, la FIA était encore seule maîtresse de son règlement et ne se gênait pas pour essayer de tuer une domination dans l’œuf de saison en saison. Entre 2002 et 2003, on a changé les qualifications, le système de points, les essais privés, pour faire tomber Ferrari ; en 2005, on a interdit les changements de pneus et cassé l’aéro ; pendant la période Red Bull, on a introduit le DRS, les pneus Pirelli à dégradation élevée, on a légiféré sur les ailerons flexibles, les diffuseurs soufflés, les F-ducts, les « doubles DRS », les cartographies moteurs, etc. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, la gouvernance collégiale de la F1 est paralysée et il très compliqué d’introduire des règles ciblant les dominateurs, qui vont faire barrage (et il faut noter que le Groupe Stratégique compte 3 écuries motorisées par Mercedes, contre une pour les trois autres motoristes). Tout ça alors que l’histoire montre bien, et cette saison notamment, que quand on fait preuve de patience et qu’on laisse une certaine stabilité réglementaire s’installer, les chronos tombent et les écarts finissent par diminuer d’eux-mêmes (les retardataires raccrochent en maîtrisant les dernières technologies, que ce soit en observant la concurrence ou en y débauchant du personnel). Et, on ne le répétera jamais assez, Mercedes n’est pas à blâmer pour les contre-performances de la concurrence.

Pour ce qui est de Rosberg, pour finir, je ressors un argument déjà évoqué plusieurs fois dans l’émission : en comparant avec d’autres luttes internes qui ont duré, ça n’est pas Prost-Senna, mais ça n’est pas non plus Schumacher-Barrichello/Irvine, Vettel-Webber, Häkkinen-Coulthard, Prost/Mansell-Patrese, etc. Rosberg est en plein sur la ligne qui sépare la lutte ingérable du non-match. Il pose assez de problèmes à Hamilton pour finir deux fois deuxième du championnat d’affilée (ce que même Barrichello et Webber n’ont jamais fait, même au plus fort des dominations Ferrari et Red Bull) et pour tenir une meilleure comparaison statistique que les précités (23 victoires à 15 depuis début 2014), mais pas assez pour que cela cause un divorce. Prost-Senna, ça n’a tenu que deux ans chez McLaren, Hamilton-Alonso, une seule saison, et quant à Hamilton-Button, leurs trois saisons ensemble ont été très intéressantes, mais ça n’a jamais concerné le titre – dans ce cas-là, seul Hamilton avait pu conserver quelques chances, assez maigres, en arrivant à un dernier Grand Prix, en 2010. Pour être clair, s’il y avait eu un vrai gros match, il n’y aurait déjà plus match : si Hamilton avait davantage d’adversité, ça ne serait pas gérable par l’écurie et ça ne durerait donc pas, l’un des deux partirait et Mercedes mettrait un coéquipier moins encombrant à l’autre. Or, Rosberg est en bonne voie pour prolonger, et passer au moins une cinquième saison aux côtés du Britannique. Très honnêtement, rétrospectivement, Rosberg résiste bien plus que ce qui était attendu.